Le corps de la femme est programmé pour faire naître son petit et ce dernier a une connaissance innée des mouvements qu’il doit exécuter pour parcourir le périlleux chemin qui le sépare des bras de ses parents.

Depuis la nuit des temps, les femmes enfantent qu’elles aient ou non des professionnels auprès d’elles. Au Québec, sous le prétexte fort louable de la sécurité, nous encadrons et dirigeons les femmes lors de leur accouchement souvent dans l’ignorance de certaines réalités. Le corps de la femme est programmé pour faire naître son petit et ce dernier a une connaissance innée des mouvements qu’il doit exécuter pour parcourir le périlleux chemin qui le sépare des bras de ses parents. Enserré par les contractions, il travaillera ardemment, plus encore que l’on peut l’imaginer, pour arriver à traverser le bassin de sa mère, à étirer son périnée et à naître enfin.

Trop rares sont les intervenants qui favorisent la compétence de la mère et de son bébé pendant ce moment crucial de leur vie. Trop souvent, les personnes présentes ébranlent le fragile équilibre de ce processus par le biais d’interventions souvent banalisées. La confiance dans la technique a remplacé la confiance dans le génie du corps humain.

Pendant la phase de dilatation, il est maintenant usuel que les femmes et leur conjoint puissent profiter d’une intimité relative. Ils peuvent respirer à leur guise, adopter les positions qui leur conviennent ou prendre un bain. L’époque où les femmes passaient l’entièreté de leur travail cloué dans un lit d’hôpital est heureusement révolue.

La gestion de la deuxième phase du travail qui s’échelonne de la dilatation complète à la naissance est habituellement très différente de la première. La bulle de la mère, si précieuse à ce moment stratégique de l’accouchement, est dangereusement envahie dès qu’elle arrive à dilatation complète. À partir de ce moment, dans la plupart des cas, on lui demandera de s’installer en position gynécologique et de commencer à pousser. Au début de chaque contraction, elle devra inspirer de façon à remplir ses poumons, bloquer sa respiration et pousser le plus fort et le plus longtemps possible. Malgré ses terribles conséquences et son classement par l’Organisation mondiale de la santé dans la catégorie des pratiques nocives ou inefficaces qu’il convient d’éliminer, la poussée obstétricale est toujours en vigueur dans la majorité de nos centres hospitaliers.

Cette poussée dirigée est radicalement opposée à la poussée dite physiologique ou spontanée qui offre à la mère et à son bébé de très nets avantages. Cette dernière implique toutefois un préalable important : des accompagnants discrets qui laissent le processus se déployer en toute confiance sans intervenir. Tel que l’a démontré le gynécologue-obstétricien de renommée internationale Michel Odent, ce processus physiologique est facile à contrarier, le seul fait de faire pousser la mère avant l’apparition du réflexe empêchera son déclenchement.

«Sentir son bébé descendre tout seul et naître sans aucune poussée dans une position confortable est une expérience incroyable. Il faut le vivre pour réaliser à quel point une poussée dirigée, en laquelle nous mettons tant d’efforts souvent non récompensés si ce n’est par des séquelles désagréables, est aberrante et tellement loin de ce dont notre corps a besoin.»

Julie Boulianne, mère de quatre enfants.

D’un point de vue physiologique, le moment où la dilation du col se complète ne correspond pas au début de la poussée. En ce sens, l’Organisation mondiale de la santé considère que d’encourager une femme à pousser dès le diagnostic de dilatation complète avant qu’elle éprouve le besoin de pousser est une pratique fréquemment utilisée à tort.

Une fois la dilatation du col complétée, le bébé doit continuer sa progression dans le bassin de sa mère jusqu’à venir, avec sa tête, stimuler les terminaisons nerveuses de son rectum. La femme en travail éprouve alors une sensation de pression, le plus souvent inconfortable, qui lui donnera l’impression de devoir aller à la selle. Sa respiration changera, elle aura tendance à pousser légèrement en expirant pendant les contractions. La femme devrait alors pouvoir respirer à sa guise et continuer à varier ses positions librement. Patience, la poussée n’est pas encore arrivée. Le bébé doit encore descendre plus bas pour rejoindre avec sa tête le périnée maternel. À ce moment, le réflexe de poussée ne passera pas inaperçu. La mère ressentira une irrésistible envie de pousser. Tels l’éternuement ou le vomissement, le réflexe de pousser est involontaire et incontrôlable. En quelques contractions, bébé sera sur le ventre de sa maman.

«À la naissance de ma fille, le médecin m’a incité à pousser dès que j’ai été complète. La confusion s’est installée dans ma tête parce que j’ai dû le faire sans vraiment en ressentir le besoin. Ma fille est née au bout de 50 minutes de poussées. J’étais complètement exténuée. Lors de mon deuxième accouchement, j’avais une plus grande confiance en mes capacités et mon jugement. Je voulais me centrer davantage sur mes sensations et sur les efforts qu’allait faire mon bébé pour naître. Lorsque le médecin m’a indiqué que j’étais complète et que je pouvais pousser, sans rien dire, j’ai levé les yeux vers lui et je lui ai adressé un regard profond qui traduisait clairement mon intention d’écouter mon corps. Je savais qu’il était encore trop tôt. J’ai rebaissé les yeux pour retourner dans mon monde et fusionner avec mon bébé qui effectuait tout doucement sa descente au rythme des contractions. Plus tard j’ai senti que c’était le temps! Une puissante et incontrôlable envie de pousser m’a envahie. Mon garçon a vu le jour 15 minutes plus tard. Ce fut intense et efficace. Je me sentais vraiment bien physiquement et tellement moins épuisée qu’à mon premier accouchement.»

Isabelle Chouinard

La poussée physiologique offre à la mère et au bébé une naissance moins violente que la poussée obstétricale. Sa durée est plus courte et elle permet d’offrir une meilleure oxygénation à la mère et au bébé à un moment où cet apport est crucial. Elle est également immensément plus respectueuse de l’anatomie féminine entre autres parce que la pression exercée vers le bas sur les organes internes et le périnée est moindre. Son respect permet une diminution des extractions instrumentales (ventouse et forceps), des prolapsus (descente d’utérus et de vessie), de l’incontinence, de l’œdème et des déchirures au niveau du périnée.

La naissance est un moment unique et déterminant dans la vie de la mère, du père et de leur bébé. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur une médecine qui nous offre de fabuleuses possibilités en cas de complications obstétricales. Peut-être serait-il temps de trouver ensemble un équilibre entre science, physiologie et affectivité? En tant que société, saurons-nous relever le défi en redonnant à la physiologie ses lettres de noblesse et en permettant aux parents et à leur bébé de se réapproprier leur pouvoir dans cette fabuleuse aventure qu’est la naissance d’une famille? Parions que nous serions nombreux à y gagner.

Références :

Santé de la mère et du nouveau-néLes soins liés à un accouchement normal : Rapport d’un groupe de travail technique. Département de Santé et Recherche génésiques, Organisation mondiale de la Santé.

Réflexions sur la poussée Michel Odent, obstétricien-gynécologue
La poussée pour les mères primipares.

Ne faites pas cet examen vaginal Gloria Lemay

Trois fées pour un plaidoyer. L’éloge d’une naissance amoureuse et consciente Corinne Gere, Brigitte Dohmen et Christiane Mispelaere. Éditions Amyris

L’incontinence urinaire d’effort chez les multigestes Les Dossiers de l’obstétrique/ Numéro 220